Milan Jovanović

Liberté ou Sécurité?

Kristof Blen, „Isak pirat“ /Christophe Blain, „Isaac le pirate“/, „Darkwood“ i „Marketprint“, Beograd / Novi Sad, 2013.

L'histoire d'Isaac le peintre, pardon, d'Isaac le pirate, est une histoire qui se déroule dans une ère plus romantique que la notre. C'est une aventure qui nous emmène à travers la vaste espace de la mer. On va partir sur mer et voyager jusqu'au sud du sud et rencontrer les capitaines et les marins qu'on a rencontré dans les histoires d'Emilio Salgari ou de Robert Louis Stevenson. Mais on ne doit pas être trompé par ce rappel des livres qu'on a aimé pendant notre enfance. Derrière les aventures d'Isaac le pirate se cache encore une couche dont on doit repenser. Et bien que la narration dans ce livre que vous tenez dans vos mains n'est pas polysémique et que la langue est claire et très directe, sous les aventures amusantes, l'auteur a su habilement introduire quelques contextes qui n'échapperont pas au lecteur plus attentif.

Une des sujets primordiaux qui se place devant l'être humain est la question de choix entre la liberté et la sécurité. Cette question est l'une des rares pierres fortifiées dans les fondements de la philosophie et des arts, mais aussi de la théorie sociale et politique. Mais ce n'est pas juste une question de l'individu, car elle le dépasse au fur et à mesure dans laquelle il a subordonné la liberté primitive à la sécurité qu'apporte l'appartenance à la civilisation. La dramatisation de ce dilemme a éprouvé dans l'histoire un certain nombre d'incarnations avec plus ou moins de succès. Surtout parce que les artistes avec leur imagination sans fin, déposée par degrés pendant les millénaires, ont réussi à convaincre le reste de l'humanité qu'ils ont besoin d'un type particulier de la liberté. La soi-disant liberté de création. Liberté nécessaire pour peindre, composer, écrire... Pour écrire des histoires non vécues, mais qui pourraient l'être. Donc, certaine liberté nécessaire pour mentir gentiment. Eh bien, ainsi soit-il, bien que l'assimilation de l'art avec le mensonge stylisé peut sembler un calcul assez grossier, puisque nos parents nous ont appris que «tout cela n'était que faire semblant» et que nous ne devons pas concevoir trop au sérieux les fins de ces histoires, soit qu'elles sont heureuses ou tristes. Mais il doit bien être que l'artiste a vraiment eu besoin d'un grain de plus de la liberté, parce qu'il était toujours prêt à changer la réalité à n'importe quel prix, ce qu'on ne peut pas faire sans courage digne d'un aventurier le plus grand. Tracer une ligne sur le papier, que ce soit une lettre, un cercle ou une note, c'est le départ en inexploré, les traces de nouvelles chemins sur la mappemonde céleste.

L'histoire d'Isaac est une histoire de l'artiste. La saga d'un homme dont la curiosité et la spontanéité peut être comparée à celle de l'enfant. Et l'audace et l'imprudence qu'Isaac porte nous donne l'espoir que son œuvre pourrait devenir grande. Comme il arrive dans toutes les histoires connues ou encore pas racontées, les circonstances, presque poétiquement fatales, conduiront Isaac vers l'inconnu. Mais les musées ont préparé à notre héros les merveilles qui vont transformer l'artiste en œuvre de l'art. Isaac est parti sur la grande mer où il est devenu le pirate, afin de devenir un jour un grand peintre. Mais le vrai art doit nous tromper habilement et discrètement, et quand vous finissez ce livre qui est devant vous, retournez à cette petite contemplation et essayez à donner la réponse sous un autre angle. La bande dessinée, Isaac le pirate, est une œuvre dans laquelle l'artiste tente de justifier l'artiste, en lui permettant d'être même un pirate, si cela le mènera à son accomplissement. Et nous allons probablement pardonner ça à Isaac. Mais quel serait votre point de vue si vous étiez un pirate? Est-il digne d'un pirate de prendre une boite de peinture et la toile, même si c'était le seul moyen de devenir un virtuose sur les mâts et les voiles? Défendeur inapte aurait recours au cliché bien connu qui dit que la vérité est dans l'œil du spectateur. Et là, percés d'épines d'introspection, nous obtenons la réponse de qui parle et à qui s'adresse cette histoire dans laquelle vous vous engagez. Qui trouvera plus de joie en lisant cette histoire, le pirate ou le peintre caché en vous?... Comme nous l'avons dit auparavant, la réponse est dans l'œil de spectateur. Le plaisir, aussi bien que le remords, sont les effets secondaires possibles.

Le créateur de cette œuvre, qui de notre première lecture peut nous sembler assez légère, a fait un nœud complexe de motifs et d'impulsions qui manœuvrent les caractères que Isaac rencontre sur son pèlerinage étrange. Et comme négligemment, il a touché beaucoup de questions insondables. Celles de la quintessence et de l'importance de l'amour, de la mort, de l'amitié, de l'éphémère, de la création... Et comme nous l'avons dit au début, le choix entre la liberté et la sécurité. La plupart d'entre nous cherchent une sorte d'équilibre sur cette bascule, mais il y a pas mal de ceux qui cherchent seulement un côté de ce que la vie leur offre. Ceux qui trouvent leur satisfaction à la sécurité et à la rationalité en justifiant leur choix par l'évitement du risque, peuvent toujours lire tous les détours d'Isaac le pirate et de nouveau être convaincus qu'ils ont choisi la bonne voie. La beauté d'une bonne narration, toutefois, réside précisément dans le fait que les autres, ceux qui trouve leur idéal dans la liberté, trouveront la confirmation de leur philosophie de vie sur les mêmes pages. En outre, quel que soit votre idéal favorisé, peut-être qu'en voyageant avec Isaac, vous serez encouragés à reconsidérer une fois de plus votre choix. Liberté ou sécurité? Dans le temps que nous vivons, les slogans nous promettent l'une et l'autre à la fois. Une raison de plus d'être prudent. On dit que Benjamin Franklin a averti que ceux qui sont prêts à sacrifier la liberté pour la sécurité ne méritent ni l'une ni l'autre. Une chose est sûre. Cet avertissement ne concerne pas ni les peintres ni les pirates.

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Christophe Blain est l'auteur de bandes dessinées, né en France en 1970. Il est l'un des représentants les plus éminents de la jeune génération francophone. Non seulement générationnel, mais aussi de son style spécifique qui caractérise la nouvelle vague de la bande dessinée française. Il utilise un style très minimaliste. Les dessins de Blain excellent dans l'art spécifique des lignes réduites et de l'absence de stylisation infinie. Les couleurs qu'il utilise le plus souvent sont éclatantes et leur rôle est d'intensifier les scènes représentées. Avec cette procédure Blaine obtient la fluidité et la spontanéité cinématique en mouvements.

Blain a commencé sa carrière en tant qu'illustrateur, et il a bientôt attiré l'attention des grandes maisons d'édition, pour lesquelles il a commencé à dessiner les séries de bande dessinée. La première série qu'il a faite était Hiram Lowatt & Placid, d'après le scénario de David B, en deux volumes, publié par Dargaud. Entre les deux volumes, Blaine a entamé une collaboration avec Casterman, avec l'album Les Deux Arbres, d'après le texte d'Elizabeth Brami, et puis il commence à travailler seul, comme l'auteur, sur l'album Carnet Polaire. C'est Dupuis qui lui publie l'album Le Réducteur de vitesse en 1999. Cette même année il commence à dessiner pour Delcourt la série Donjon Potron-minet en quatre volumes, qui forme partie d'une série plus ambitieuse Donjon, pour laquelle Joann Sfar et Lewis Trondheim écrivent le script. De 2001 à 2005, Blaine écrit et dessine la série Isaac le Pirate. Cette première série qu'il a signée comme l'auteur complet a été publié par Dargaud. Le même éditeur a également publié la prochaine série de Blaine, Socrate le demi-chien, en trois volumes, d'après le scénario de Joann Sfar. La première moitié de la première décennie de ce siècle a été réservée pour deux albums solos. Tout d'abord King Kong en 2004, pour l'édition Albin Michel, puis Carnets de Lettonie, pour Casterman. Après cela, Blaine retourne aux projets sérialisés. La série Gus, en trois volumes et la série Quai d'Orsay, d'après le scénario d'Abel Lanzac, ont été publié par Dargaud. La liste des œuvres de Blain se finit par deux titres indépendants, En cuisine avec Alain Passard et La fille, le projet multimédia qu'on a décrit comme une bande dessinée musicale, en collaboration avec la chanteuse Barbara Carlotta. Ces deux titres ont été publiés par Gallimard.

Christophe Blaine a reçu de nombreux prix, parmi lesquels il convient de noter le prix du meilleur album sorti en 2002 au Festival d'Angoulême, que l'auteur a reçu pour le premier volume de la série Isaac le pirate.

Le livre que vous tenez dans vos mains est le premier ouvrage de Christophe Blaine publié en serbe.

На Растку објављено: 2016-01-05
Датум последње измене: 2016-01-06 19:38:53
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