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TIA Janus

Đorđe Ćapin

Mythe des bogomiles

Traduit du serbe par Marina Mirović

Ce texte est publié dans la revue «Pogledi » No 179, Kragujevac, en septembre 1995, pages 24-25, et aussi dans la revue «Vidoslov – Recueil de l’Eparchie de Zahumlje-Herzégovine et Maritime» No 9, Trebinje 1996, pages 59-62.

Dans l’histoire serbe il y a peu de problèmes qui seraient sortis du cadre scientifique dans la même mesure que l’invention des soi-disant «bogomile » ou «patarins» dans la Bosnie médiévale ou Hum. Il semble incroyable que, sur base de si peu d’éléments initiaux, on a construit un système grandiose des non- et semivérités, qui était jusqu’à ces derniers temps une vérité «scientifique» officielle et intangible, répétée à la perroquet depuis l’école élémentaire jusqu’ à l’université. Naturellement, comme toute chose construite sur un mensonge, cette construction se serait vite décomposée, pareillement à l’Ex-Yougoslavie, si seulement auparavant quelqu’un avait osé la soumettre à une critique même un peu sérieuse. Les auteurs peu nombreux qui y ont réussi (Petranović et Glušac) ont été contournés et passés sous silence dans l’historiographie officielle, chaque fois où cela a été possible, et si cela n’ était pas ainsi, on leur collait les étiquettes du type «historien pas scolarisé», «a essayé en vain de prouver», nonobstant les arguments, sans une critique sérieuse ou une tentative de polémique. Vu que le public connaît très peu ce sujet, restant surtout sur la déformée version officielle des programmes scolaires, nous allons essayer de rapprocher ce sujet et de reconnaître les forces qui avaient créé ce mythe et l’ont sauvegardé à nos jours.

Le début de l’histoire, nous allons le situer facilement dans le temps et dans l’espace – le XIXe siècle et la politique Austro-hongroise dans les Balkans (la séparation des pays serbes occidentaux de la Serbie et du Monténégro et la tentative de création de la nation «bosniaque»). Le mythe des «bogomiles» avait été créé par l’Austro-Hongrie, qui l’a conservé jusqu’à sa décomposition ; la même conception et la même politique, d’une façon plus primitive et agressive, ont été réalisées par l’ex-RSFY dans l’absurde création artificielle nommée «RS de Bosnie-Herzégovine» (sur le même modèle a été inventée alors la nation «musulmane»).

Le fond de l’histoire est assez simpl; dénudé, sans la protection des «autorités» scientifiques et politiques, il a l’air naïf : L’Etat médiéval de Bosnie n’était ni serbe ni orthodoxe. La plupart des habitants confessaient une hérésie dualiste – bogomilisme, qui était en même temps la religion d’état. Puisque cette hérésie avait quelques points communs avec l’islam, peu après l’occupation turque les bogomiles se sont collectivement convertis à l’islam. Conclusion : les musulmans bosniaques n’avaient pas été Serbes orthodoxes, ils sont les seuls autochtones, gardiens de vieilles traditions avant-turques et le seul élément constitutif de l’état de Bosnie!

Cependant, bien que le conte ait semblé naïf (avec le temps il a été modifié), sa répétition centenaire a produit des résultats pas du tout naïfs. L’issue finale de la conscience construite sur ce conte sont les restes actuels de la Bosnie d’Alija et la sanglante guerre civile qui a enlevé des centaines de miliers de vies humaines.

C’est Franjo Rački qui , en 1869, fit entrer «bogomiles» par la grande porte dans la science, acceptant «pour argent comptant» les sources latines extrêmement douteuses. Malgré qu’il contredise à soi-même, souvent dans le même texte, et donne des explications naïves et inacceptables quand les faits disent le contraire, sa construction est acceptée, surélevée, politiquement soutenue et par la force du pouvoir maintenue jusqu’à nos jours.

Le terme-même «bogomiles» n’est connu en Bosnie ni dans les sources ni dans la tradition. Ses défenseurs les plus fervents ne sont pas d’accord quant aux prémisses et aux manifestations de cette «religion». En général, on lui attribue un dualisme marqué (le bien – le mal), le rejet de l’Ancien Testament, le mépris des icônes et de la Sainte Croix, la répudiation de la Sainte Trinité, l’ignorance des Saints Sacrements, et la non-existence des temples et de l’hiérarchie organisée. Prouver que cela avait existé dans la Bosnie médiévale et orthodoxe, dont presque toute la culture conservée, matérielle et spirituelle, est orthodoxe, n’était pas du tout facile. Ainsi, le fond de ce conte est quelque peu modifié, pour sembler plus probable et dans ces derniers temps, une interprétation officielle était valable (dans l’esprit de «fraternité-unité») qu’en Bosnie vivaient en égalité bogomiles, catholiques romains et orthodoxes.

L’espace ne permet pas la polémique avec toutes les prémisses du mythe des «bogomiles», mais l’ aperçu même le plus superficiel des thèses fondamentales, les montre indéfendables. Les prétendus «bogomile » ou quelqu’autre groupe hérétique d’importance et d’influence, n’ont jamais existé dans la Bosnie et l’ Herzégovine médiévales. Dès les premières mentions dans des sources, jusqu’à la chute sous les Turcs à la fin du XVe siècle (et aussi beaucoup plus tard, tant que l’islamisation n’avait pas pris d’essor), la Bosnie était un pays purement serbe et orthodoxe. Elle en était tellement défiante à la porte même de l’Occident, que contre elle furent menées plusieurs croisades, dans lesquelles les ancêtres lointains des bourreaux d’aujourd’hui, en servants hongrois, faisaient les memes crimes sur des Serbes bosniaques, comme leurs descendants le font de nos jours. La réception des émissaires papaux, la reconnaissance formelle du pape, l’émanation des ordres monacaux d’Occident, n’étaient qu’une tactique de diplomatie, qui n’influençait guère la vie intérieure religieuse du pays. Des sources latines, pleines de qualifications diffamatoires sur les habitants et les souverains de Bosnie, le confirment. D’après elles, les habitants de Bosnie sont «hérétiques», «manichéens», «patarins», et leur pays pépinière de tous les maux et hérésies possibles, comme d’ailleurs tous les pays orthodoxes. Pour l’Eglise catholique de cette époque, tout chrétien, orthodoxe avant tout, qui n’avoue pas l’autorité absolue du pape, du dogme catholique et le rite latin, est considéré hérétique. (Cette attitude est amadouée de nos jours.) Le terme-même «patarins» ou «paterins», qui désigne le plus souvent des habitants de Bosnie, détermine ceux qui considèrent que le Saint Esprit provient du Père (ex Patre), c’est-à-dire orthodoxes, tandis que les catholiques considèrent qu’il provient du Père et du Fils (ex Patre Filioque). Des souverains dans leurs chartes nomment explicitement Serbes habitants de leur pays, et la langue serbe (chartes du ban Matija Ninoslav à Dubrovnik). La plupart des chartes commencent par le signe de la croix et par la mention de la Sainte Trinité. Le signe de la croix, qu’on prétend être méprisée par les «bogomiles» imaginaires, existe sur une grande partie des pierres tombales. A l’opposé du mensonge sur des «bogomiles» qui n’avaient pas d’édifices sacraux, sont les restes de nombreuses églises médiévales aux autels orthodoxes tournés vers l’est, comme dans d’autres pays serbes. Les pierres tombales caractéristiques «stećci» ont été a priori, sans preuves valables, proclamées être de bogomiles et ont été longtemps un des piliers par lesquels le mythe des «bogomiles» était soutenu. La grande majorité des cimetières avec ces pierres tombales sont orientés à l’orthodoxe (est-ouest, avec la tête à l’ouest). Lorsque les peu nombreuses nécropoles orientées nord-sud dans les régions limitrophes seront cartographiées, on en saura plus sur le procès de catholisation des Serbes et sur des racines les plus anciennes des «Croates» d’aujourd’hui en Bosnie, Herzégovine et sur le Littoral. La grande majorité de ces pierres tombales sont à côté des églises orthodoxes (y comprises les ruines et des églises usurpées plus tard par les catholiques). Ces pierres tombales sont caractéristiques pour l’espace serbe dinarique (Lika – Lac de Skadar et la Côte Adriatique – Pakrac). Il n’y a pas de stećci en dehors de l’espace éthnique serbe. Il n y a aucune d’ entre elles, pour laquelle il soit possible de prouver qu’elles n’appartienne pas aux Serbes. C’est pourquoi elles étaient détruites, surtout au Littoral. Toutes les informations sur la Bosnie de la période turque mentionnent des Serbes orthodoxes. Il n’y a aucune preuve – et un tel événement aurait dû laissé des traces – de la conversion d’un grand nombre de gens à l’ islam en peu de temps. Aucun hérétique ni bogomile de la Bosnie turque, sauf si c’étaient des Serbes orthodoxes, ne s’était jamais réfugié dans les pays voisins. Il est difficile d’énumérer toutes les preuves de l’orthodoxie des Serbes de la Bosnie médiévale. Vis-à-vis d’elles il n’y a que des inventions et des fictions qui ne peuvent pas être prises sérieusement en considération, et qui n’auraient pu exister ni résister jusqu’à nos jours, s’il n’y avait pas eu derrière elles l’intérêt politique de la dissolution et de l’usurpation des territoires serbes.

Derrière tout cela, à l’origine, sont les intérêts de l’Austro-Hongrie dans les pays serbes. Suite à l’occupation de la Bosnie-Herzégovine en 1878, survient une action organisée du dépeuplement des Sebes, du refoulement de l’élément serbe et la tentative de séparation des pays Serbes à l’ouest de la Drina de leur partie orientale. A tout cela, il fallait donner une base politique, mais aussi celle «scientifique», et c’est là que le passé de la Bosnie avec des «bogomiles» devait jouer un rôle crucial pour prouver la «particularité» bosniaque. Dans ce sens, la période de l’administration du gouverneur austro-hongrois Benjamin Kalaj (1882-1903) était très fertile.

L’Austrie a trouvé du matériau propice pour la mise en œuvre de ses intentions – des musulmans bosniaques, auxquels on a essayé d’implanter la tradition avant-turque «bosniaque» fraîchement inventée et la conscience étatique. Par cela on a tenté de repousser, d’un côté, des vivantes traditions serbes, et de l’autre, l’idée étatique turque, à laquelle ils étaient fidèles et qui les avait créés d’ailleurs. Cette politique est acceptée par une partie de la noblesse musulmane. Il faut surtout mentionner le bey Mehmed Kapetanović et sa brochure «Que pensent les mahométans en Bosnie» (1886) dans laquelle est pour la première fois explicitée en public l’affirmation que les musulmans bosniaques proviennent des soi-disant «bogomiles». L’estafette a été reprise par le journal «Bošnjak» («Bosniaque») qui la developpe et apprend aux musulmans la tradition «bosniaque» et l’orthographe latin, jusque là totalement inconnu pour eux. On fait tout pour promouvoir la nation et la langue «bosniaques». «La langue bosniaque» obtient en 1890 sa grammaire. A travers des manuels scolaires on falsifie tout ce qui est serbe, de l’histoire à la tradition populaire. Aux dépens de l’orthographe cyrillique (qui était, avec une utilisation limitée de la langue turque et des caractères arabes, valable pour toute la population de Bosnie-Herzégovine, sans égard à l’appartenance confessionnelle), on insiste sur l’orthographe latin. En 1988, Kosta Herman (Hormann) de la ville de Bjelovar, un Allemand naturalisé Croate, conseiller du Gouvernement National et un des personnages-clés dans la fondation et l’activité du Musée National, publie les poèmes populaires des musulmans, ce qui a provoqué l’étonnement et les protestations de toute l’Europe littéraire.

C’est à la fondation du Musée National à Sarajevo en 1888 que commence l’action systématique pour établir «scientifiquement» la «particularité» de la Bosnie-Herzégovine. Dès le début, Musée agit selon les instructions et sous la surveillance directe du Gouvernement National et de Kalaj en personne. A part les résultats significatifs sur presque tous les champs qu’on ne peut pas contester, l’activité des spécialistes de ce Musée est orientée surtout vers l’investigation (et la construction) des bases historiques de la particularité de la Bosnie-Herzégovine, en soulignant, bien sûr, les «bogomiles» et les stećci. Nombreux sont des exemples de la représentation tendancieuse du passé, de l’interprétation peu critique, aux falsifications ouvertes. A partir de la variante locale de l’orthographe cyrillique (bosančica), Đuro Truhelka invente un ortographe à part, soi-disant complètement indépendant du cyrillique. Bien que ce mensonge soit trop évident pour survivre en cette forme, ce terme est entré dans l’usage, et le lecteur curieux peut trouver l’unité «bosančica» dans l’Encyclopédie des arts plastiques, tôme I, Zagreb 1959, page 442 ; il peut y lire que c’est «bosančica, alphabet bosniaque, cyrillique croate, dite aussi l’orthographe féminin», c’est-à-dire tout, sauf ce qu’il est vraiment – l’orthographe cyrillique serbe. Le Musée National survie à l’Austro-Hongrie et continue avec ses activités dans les deux Yougoslavies, avec une courte période pendant la guerre, dans la NDH, Etat indépendant de Croatie, où il était devenu «croate». Les résultats du travail des générations des spécialistes sont impressionnants, mais la thèse «bogomile» persiste jusqu’à nos jours. Malgré le fait que les savants objectifs aient contesté toutes les prémisses du mythe, l’une après l’autre, la téorie a évolué jusqu’à l’attitude symétrique « fraternelle-égalitaire », déjà mentionnée (bogomiles, catholiques et orthodoxes, tous égaux, vivent dans la joie, l’amour et le bonheur dans la Bosnie hérétique). Personne ne s’était occupé du problème en entier ; personne ne l’avait osé, car ainsi les prémisses fondamentales du pouvoir communiste en Bosnie – Herzégovine seraient mises en question.

Le public a pu, dans une certaine mesure, se rendre compte de cette imposture seulement après la décomposition de la RSFY, grậce à la réimpression du livre «La vérité sur les bogomiles» du Dr Vaso Glušac (1ère édition Belgrade, 1941, achevée en 1945) publié par Književne novine (Les nouvelles littéraires) en 1992. Dans son brillant épilogue, Đorđe J. Janjić donne des réponses convaincantes à la question – qui c’est qui insiste toujours sur le mythe des «bogomiles», et pourquoi.

Lors de la «Conférence sur l’activité des musées, les archives et la protection du patrimoine dans la République Srpska et la République Srpska Krajina» qui a eu lieu au mois de mai cette année à Bijeljina, Dr Miodrag Petrović a fait une conférence remarquable intitulée «Sur les chrétiens en Bosnie». Cette conférence est une critique sans merci des thèses «bogomiles» en vigueur, surtout des travaux de l’académicien Simo Ćirković, le dernier défenseur convaincu des visions austro-hongroises de la Bosnie et du problème du «bogomilisme».

La science serbe lentement, mais sûrement, met le point final sur un autre mensonge anti-serbe et anti-orthodoxe. Le nettoyage des programmes scolaires de ce résidu-ci et de tous ceux de l’occupation, sera difficile et durera longtemps, mais cela dépend plus des autorités que de la science.

A Herceg-Novi, le 7 août 1995


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